Habillée de couleurs vives (incidemment celles du drapeau américain, et du Captain allant avec), une femme fend à contre-sens une foule d'hommes anonymes en costumes noirs. Dès la présentation du personnage à l'entame du premier épisode, on sent confusément qu'Agent Carter ne va pas faire dans la subtilité. Parvenus au terme de la première saison, on ne peut guère que constater que la série aura mis un certain temps avant de nous détromper, et pas toujours de la plus éclatante façon.
Sur le papier, pourtant, consacrer une série télévisée à Peggy Carter était un pari risqué mais intéressant de la part des décideurs de chez Marvel.
Risqué, non pas tant, comme la firme aimerait nous le faire croire (vu l'insistance de leur communication sur la question) parce que mettant en vedette une héroïne féminine - ce qui, en soi, n'a rien d'une nouveauté, sans parler d'une révolution, dans le monde des séries télé -, mais surtout parce qu'en développant une histoire autour de ce personnage et de ses activités aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, la Maison des Idées s'essayait pour la première fois dans le cadre du Marvel Cinematic Universe (ou MCU) à un récit nécessairement coupé de quasiment toute donnée super-héroïque. La "grande sœur" Agents of S.H.I.E.L.D. a jusqu'ici contourné habilement le problème, posé notamment par la différence de moyens entre grand et petit écran, en arrimant solidement et intelligemment le second au premier : d'abord en présentant des personnages cantonnés à faire le ménage (figurativement parlant... et parfois littéralement) dans les décombres des évènements spectaculaires survenus dans les films, puis en passant par une transformation profonde de son propre contenu sous l'influence de la révélation survenue dans Captain America : Le Soldat de l'Hiver, et enfin, récemment, en devenant une force de proposition pour l'avenir attendu du MCU en y introduisant les Inhumains. Le cadre d'Agent Carter n'offre pas de telles possibilités : Steve Rogers, alias Captain America, gît quelque part dans les glaces du pôle, supposé mort, et les autres super-héros ne sont pas censés apparaître avant notre époque. La situation limite donc la série aussi bien en termes de sense of wonder que dans l'appel qu'elle peut faire au casting maison, ne serait-ce que pour soutenir l'intérêt des fans, en terme d'antagonistes ou de personnages secondaires.
Peggy Carter (Hayley Atwell) dans le film Captain America de Joe Johnston : qui s'y frotte s'y pique. |
Pour autant, le projet avait, a priori, suffisamment d'atouts pour ne pas souffrir de cette situation. Le film Captain America: The First Avenger avait installé Peggy Carter - portée par la prestation de Hayley Atwell - en femme d'action au caractère bien trempé, capable d'en remontrer à n'importe qui, officier américain ou espion nazi, tout en conservant une part de séduction féminine sans avoir, pour cela, à paraître autrement qu'impeccablement sanglée et cravatée jusqu'au menton dans son uniforme militaire. Dès sa première apparition dans le film, le script et le jeu de son interprète transformaient Peggy, de personnage initialement très secondaire de l'univers des comics, en femme de pouvoir s'étant imposée, à force de volonté et de talent, dans un environnement patriarcal et misogyne. La suite du film ne démentait pas cette impression, faisant d'elle non pas juste le love interest du Cap', mais son véritable guide sur la voie de l'héroïsme à presque chaque tournant du récit.
C'est donc peu dire qu'il y avait du potentiel dans l'idée de retrouver le personnage dans l'immédiat après-guerre, devant faire le deuil de l'amour de sa vie mais non de ses idéaux, dans cette période particulière de l'histoire de l'émancipation féminine aux États-Unis, où les femmes qui avaient fait tourner le pays en l'absence des hommes partis au front, voire participé directement à l'effort de guerre au sein des Woman's Army Corps, se virent sommées de réintégrer leur rôle d' "éternelles mineures" comme si rien ne s'était passé.
Femme de terrain et héroïne de guerre, ayant parcouru les champs de bataille européens aux côtés de Captain America puis à la tête des Howling Commandos, les activités de Peggy Carter, revenue à la vie civile, au sein du SSR - Strategic Scientific Reserve, l'ancêtre du S.H.I.E.L.D. - se limitent désormais à apporter le café. Bien qu'elle soit apparemment la seule femme admise à travailler dans ces bureaux au-delà du standard téléphonique, ce qui laisserait tout de même supposer que quelqu'un, à un moment, a pris en compte ses états de service, ses supérieurs et ses collègues ne la considèrent manifestement que comme une sorte de secrétaire. Pour ajouter l'insulte à la blessure, les aventures de Captain America font désormais l'objet d'un show radiophonique populaire dans lequel le personnage de l'infirmière "Betty Carver" joue le rôle de la demoiselle en détresse énamourée et impuissante. Lorsque Howard Stark est soupçonné de vendre ses inventions à des puissances étrangères, et que le SSR se montre totalement obtus dans son approche de l'affaire, Peggy décide de mener sa propre enquête de son côté.
Le principal problème d'Agent Carter vient sans doute de la façon dont est géré son statut de mini-série en huit épisodes, coincée entre les deux moitiés de deuxième saison d'Agents of S.H.I.E.L.D. - dont on peut imaginer que la reprise tardive est conditionnée par la nécessité de se lier aux évènements du film Avengers: Age of Ultron à sortir début mai. Ce positionnement voue donc, au moins en partie, Agent Carter à une fonction de remplissage, apportant encore une limitation supplémentaire aux possibilités d'expansion de son récit.
Pour autant, et là encore (bis), ce temps limité accordé à l'histoire n'avait rien en soi d'une condamnation inévitable à l'échec. Tout au contraire, convenablement employé, ce format court aura été celui de quelques-unes des plus grandes réussites récentes en la matière, avec des séries comme Broadchurch, Top of the Lake ou The Honourable Woman au Royaume-Uni et, de l'autre côté de l'Atlantique, Penny Dreadful et surtout True Detective. À l'instar, par exemple, en littérature, de la nouvelle par rapport au roman-feuilleton, cette forme conditionne une certaine économie narrative, une exigence de concentration d'effets de tous les instants.
À l'inverse de ce principe, nombre des séries récentes dérivées des univers super-héroïques de DC ou Marvel ont mis du temps à décoller véritablement après des débuts pas toujours enthousiasmants (Agents of S.H.I.E.L.D.) voire franchement calamiteux (Arrow). Or, cette voie est précisément celle empruntée par les aventures de l'agent Carter, comme oubliant que le format "mini" ne leur donne pas ce luxe. Personnellement, il m'aura fallu attendre jusqu'à la fin du quatrième épisode pour être vraiment "scotché" et avoir le sentiment d'attendre la suite avec impatience. Ce genre de retard à l'allumage est pardonnable (sinon oubliable) au début d'une série reposant sur des saisons d'une vingtaine d'épisodes chacun. Il devient nettement plus problématique lorsque les quatre épisodes représentent toute la première moitié de l'histoire.
Avec, pendant toute cette première partie, une réalisation sans grand éclat, une absence criante de tension dans les scènes de (supposé) suspense, des dialogues peu marquants, un scénario plutôt bancal (il ne vient apparemment pas à l'idée de l'héroïne que jouer les agents doubles n'est pas le meilleur moyen de prouver sa valeur à sa hiérarchie), et surtout des personnages uni-dimensionnels jusqu'à la caricature - la femme sous-estimée, le handicapé sous-estimé, le play-boy impénitent, le chef macho, le sous-chef macho, le sous-fifre très macho... -, Agent Carter part de loin et ne dispose que de peu de temps pour en revenir. Le "message" que la série entend manifestement délivrer l'est avec tant de lourdeur simpliste qu'il en perd beaucoup de son efficacité, tout en phagocytant tout le reste.
Révélateur également me semble le traitement à l'écran de la reconstitution de la fin des années 40. Les séries HBO ont depuis plusieurs années maintenant créé de nouveaux standards en la matière, et assez manifestement, Agent Carter n'a pas - ou ne se donne pas - les moyens de parvenir à susciter la même impression de réalisme, de la même manière que le traitement de la condition féminine vers le milieu du siècle passé reste loin de la subtilité et de la pertinence d'un Masters of Sex ou d'un Mad Men. On me répondra que l'enjeu n'est pas le même, et qu'Agent Carter, super-héros ou pas à l'écran, reste un divertissement dans un univers de comics dont on peut bien accepter qu'il ne soit pas ultra-réaliste. Le problème est que la série n'assume pas cette voie non plus. Voiture volante, sous-marin de poche, laboratoires secrets et armements baroques, Captain America: The First Avenger n'hésitait pas à donner dans la veine du rétro-futurisme vintage - celle de films comme Rocketeer (du même réalisateur, d'ailleurs), The Shadow avec Alec Baldwin ou plus récemment l'ovniaque Sky Captain and the World of Tomorrow. Cette dimension, en dépit des inventions de Howard Stark, est complètement sous-exploitée dans Agent Carter - sa manifestation la plus mise en avant étant une machine à écrire en mode émetteur-récepteur dont les scénaristes ont manifestement piqué l'idée à la série Fringe. Ni vraiment réaliste ni vraiment fantaisiste, la reconstitution sonne faux, artificielle et un peu cheap, tout au long de la série.
Tout n'est pas à jeter pourtant dans les aventures de l'agent Carter, loin s'en faut - surtout, donc à partir du moment où (enfin) les personnages, et en particulier les protagonistes masculins comme le chef Dooley ou l'agent Thompson, se voient conférer un peu d'épaisseur et un minimum de complexité, dans le même temps que l'intrigue s'approfondit aussi, autour du mystère que cache la version officielle d'une bataille sur le front russe pendant la guerre. La menace représentée par l'arrivée d'une sorte de proto-Veuve Noire permet également de faire peser une tension plus palpable qu'auparavant, montant les enjeux et dynamisant l'ensemble. Il ne s'agit pas de prétendre que tout, à compter de ce point, est parfait (on aura par exemple droit de façon récurrente à une utilisation assez ridicule de l'hypnose), mais la seconde moitié des épisodes pointent dans une direction, disons, plus rassurante dans la perspective d'une possible saison 2 (non encore confirmée cependant).
La part "sentimentale" de l'intrigue - le deuil de Steve Rogers - est également plutôt bien traitée, passant notamment par le biais symbolique d'une fiole contenant du sang du Captain, et si la série s'ouvrait par le souvenir du dernier vol du personnage, son dénouement est bâti sur un intéressant parallèle avec cette séquence, montrant l'importance du Vengeur Étoilé non seulement pour Peggy mais également pour Stark.
Au final, Agent Carter reste une mini-série bancale, mais qui aura réussi dans le peu d'espace qui lui était alloué, à défaut de s'imposer comme une brillante réussite, du moins à renverser la majeure partie des craintes que pouvaient faire naître un début franchement décevant. Le projet n'était certes pas évident, devant s'affronter à de nombreuses limitations, mais possédait suffisamment d'atouts potentiels pour faire espérer un résultat original et de très haute tenue. En l'état, cet objectif n'est pas (encore ?) complètement atteint. Néanmoins, le bilan globalement positif de la seconde partie de la saison peut à bon droit donner envie de retrouver prochainement notre héroïne dans une éventuelle suite de ses aventures.
Agent Carter, saison 1 : janvier-février 2015.
Créé par : Christopher Markus et Stephen McFeely.
Chaîne de diffusion (USA) : ABC.
Avec : Hayley Atwell (agent Peggy Carter), James D'Arcy (Edwin Jarvis), Enver Gjokaj (agent Daniel Sousa), Shea Whigham (chef Roger Dooley), Chad Michael Murray (agent Jack Thompson), Dominic Cooper (Howard Stark), Ralph Brown (Dr. Johann Fennhoff), Bridget Regan (Dottie Underwood).