Dernier héritier en date, chez DC, de labels comme le mythique Elseworlds ou l'éphémère All Star, la collection Earth One (Terre-Un, en VF) vise à accueillir des récits en dehors de la continuité officielle du DC-verse, présentant des versions alternatives de l'origine des plus grands héros de la maison, dans un environnement au "réalisme" revendiqué comme plus poussé que d'ordinaire pour ce genre de production. Sous cette bannière, on avait déjà vu passer un Batman par Geoff Johns et Gary Frank, pas inoubliable, et surtout deux volumes de Superman par Joe Michael Straczynski et Shane Davis qui, malgré quelques défauts mineurs, comptent, à mon avis, parmi les meilleurs titres récents consacrés au personnage. Tout cela est disponible en traduction française chez Urban Comics, et des suites sont attendues outre-Atlantique très prochainement.
Dans l'intervalle, la collection s'est enrichie fin 2014 d'un volume consacré aux Teen Titans. C'est Jeff Lemire qui s'est collé au scénario, accompagné côté graphisme par le couple Dodson (Terry au dessin, Rachel à l'encrage), un casting potentiellement prometteur. Le résultat, malheureusement, n'est à la hauteur ni des espérances qu'il peut susciter, ni des précédents titres du label. Et croyez bien que je suis désolé d'inaugurer ce blog par une chronique aussi peu enthousiaste.
Publiée fin novembre, cette libre recréation, hors continuité, des origines de la "Ligue de Justice junior" parachève une année compliquée pour les Jeunes Titans. Confiée en 2011 à Scott Lobdell dans le cadre du relaunch "New 52", la série a en effet été annulée au printemps dernier, avant qu'une nouvelle série ne soit lancée quelques mois plus tard, avec le même nom, mais de nouveaux personnages et une nouvelle équipe créative - le tout non sans avoir, entre temps, créé la polémique.
Pas le dernier, par le passé, pour dessiner de girondes silhouettes féminines, Terry Dodson, côté dessin, fait lui aussi preuve de bonnes intentions, qui semblent parfois flirter avec la mauvaise conscience, ou l'amende honorable. Certes on ne saurait lui reprocher de s'adapter (lui) à un public visé sans doute plus jeune que d'ordinaire, et d'éviter soigneusement toute érotisation intempestive.
La révélation du personnage de Starfire pousse toutefois la chose dans des proportions un peu étonnantes, tant il est vrai qu'on aura rarement vu une représentation de la Tamaranéenne prêtant aussi peu à la sensualité : ce qui n'est pas sans quelques vertus, disons, reposantes, si l'on considère la navrante caricature de bimbo décérébrée auquel le personnage avait pu se voir réduire récemment par ailleurs, mais peut donner l'impression qu'on est passé d'un extrême à l'autre...
Le jeu des sept différences : Starfire par Scott Lobdell et Kenneth Rocafort (Red Hood and the Oulaws #1, 2011) et par Jeff Lemire et Terry Dobson (Teen Titans: Earth One, 2014). |
Surtout, Dodson modifie son trait habituel, le rend plus stylisé, plus anguleux, un peu plus cartoonesque aussi, toutes choses qui semblent lorgner, tiens tiens, du côté du graphisme de la série animée de 2003 déjà mentionnée. Là encore, la volonté à l'œuvre est intéressante, mais j'avoue ne pas être totalement convaincu du résultat, qui semble par moments vraiment maladroit (notamment lorsque le récit sort de son chapeau Deathstroke, scénario et dessin se conjuguant alors dans ce qui semble bien une tentative déconcertante de rendre l'un des vilains le plus inquiétants du DC-verse le moins inquiétant possible). Plus on avance dans la lecture, et plus on se demande si Dodson était le dessinateur le plus adapté à un tel projet.
De façon générale, la vraie question est peut-être de savoir si les Teen Titans étaient les personnages les plus adaptés à un Earth One. Batman se prête de façon évidente à un traitement "semi-réaliste", et la confrontation du jeune Clark Kent, journaliste débutant fauché, avec le quartier misérable où il trouve à se loger est l'une des grandes réussites du Superman de Straczynski. À partir du moment où il se ferme la possibilité de faire des Jeunes Titans, ou au moins de certains d'entre eux, des sidekicks de super-héros plus âgés, ceux-ci n'étant pas (encore ?) censés exister dans cet univers, Lemire se retrouve piégé avec une sempiternelle histoire d'ados se découvrant des pouvoirs et devant affronter le passage à l'âge adulte, un trope qu'on a déjà vu exploiter très, très, très, très souvent ces dernières décennies, dans la BD, dans des séries télé, au cinéma, et plusieurs fois de façon plus réussie qu'ici.
Je ne reproche pas aux auteurs d'avoir voulu orienter le titre vers un public plus jeune, mais de me donner l'impression d'avoir un peu bâclé le travail justement à cause de cela, n'allant jamais au-delà de notes de "bonnes intentions" laissées inabouties. Or, ce n'est pas parce qu'on s'adresse prioritairement à des enfants ou des adolescents que l'on doit rogner sur la qualité. Ici la psychologie des personnages est minimaliste, l'émotion rare et mal gérée, le suspense à peu près inexistant, l'humour totalement absent, et comme dit plus haut, on n'obtient même pas un récit s'achevant de façon satisfaisante. Dans de telles conditions, 140 pages, cela commence à devenir long : un petit pavé dont je ne suis pas particulièrement pressé de découvrir la suite.
Allez, pour la bonne bouche :
Teen Titans: Earth One, vol.01.
Scénario : Jeff Lemire.
Dessin : Terry Dodson.
Éditeur : DC Comics.
Sortie (USA) : novembre 2014.
Pas de sortie française annoncée pour le moment.
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