mardi 17 mars 2015
Elektra : Le sang appelle le sang - ...les souvenirs et les regrets aussi
Restons un peu dans le même univers à l'occasion de la sortie, chez Panini toujours, du premier tome de la nouvelle série (vraiment nouvelle, pour le coup) consacrée à Elektra Natchos. Créée par Frank Miller pour son run sur Daredevil déjà évoqué, la redoutable ninja grecque a connu son heure de gloire en 86-87 avec la mini-série Elektra: Assassin (récemment republiée elle aussi par Panini au sein d'un volume "Marvel Icons"), sommet de créativité et d'expérimentation pour Miller en tant que scénariste et pour Bill Sienkiewicz au graphisme. La suite fut, hélas, moins brillante. Trois ans plus tard, Elektra Lives Again (Elektra: Le Retour en v.f.) par Miller en solo marqua déjà moins les esprits, malgré ses qualités ; c'est peu dire que la série régulière confiée à Brian Bendis au début des années 2000 ne jouit pas d'une grande renommée ; et même la recréation en version alternative supposément modernisée dans l'univers "Ultimates", confiée à Greg Rucka, auteur qui semblait tout désigné pour un tel personnage, n'aboutit qu'à l'impression d'une redite sans saveur du début du run de Miller. En dehors de ça... ce n'est certes pas moi qui irait dire en face à Elektra qu'elle est un second couteau, mais force est de constater qu'elle a surtout été utilisée comme figurante ou comme utilité, évoluant sans jamais se fixer d'un côté ou de l'autre de la ligne séparant les "bons" des "méchants", quitte à se retrouver, d'un titre à l'autre, à agir pour ou contre les mêmes personnes ou groupes d'intérêt...
Les choses en étaient là lorsque les pontes de chez Marvel semblèrent soudain s'apercevoir - je caricature à peine - que l'absence à leur catalogue de publications en cours de toute série centrée sur une héroïne féminine risquaient, à terme, de nuire à l'image publique "progressiste" de la maison, là où la Distinguée (et supposément "réactionnaire") Concurrence en présentait pas loin d'une dizaine. Dans la brusque explosion de titres féminins qui s'ensuivit - certains très bons, à commencer par la Captain Marvel de Kelly Sue DeConnick, d'autres... moins -, Elektra s'est donc vue à nouveau confier le rôle-star d'une série à son nom, dix ans après l'arrêt de celle de Bendis. Et, comme il se doit : elle n'est pas contente !
Plutôt que de s'interroger trop longuement sur son passé ou son identité, plutôt surtout que de se laisser étiqueter par ses relations avec d'autres ("la fille de...", "l'amante de...", "la victime de..."), la guerrière, à l'orée de cette nouvelle aventure, décide de s'en tenir à ce qu'elle fait de mieux, et qui la définit de la façon la plus évidente : ses activités d'assassin. Mais la mission que lui propose l'Intermédiaire (the Matchmaker en v.o.) est d'une nature plutôt hors norme. D'une part, parce qu'il s'agit de retrouver un certain Cape Crow, un tueur hors pair qui avait pris la sale habitude de "voler" leurs contrats aux membres de la Guilde, puis s'est volatilisé après avoir défait les plus éminents d'entre eux. D'autre part, parce que depuis qu'une trace ADN de Cape Crow a refait surface, ce n'est pas la concurrence qui manque pour tenter de mettre la main sur lui et sur la prime associée à sa tête - mais la mission proposée à Elektra diffère en ce qu'on lui demande expressément de le ramener vivant. Lorsqu'il apparaît que l'auteur de ce "contrat" parallèle est le propre fils de Cape Crow, Elektra va se retrouver confrontée aux interrogations identitaires auxquelles elle cherchait justement à tourner le dos.
Plus que le scénario néanmoins, c'est d'abord le traitement graphique de Michael Del Mundo qui attire l'attention. En ce sens, cette Elektra se rapproche de la Black Widow de Nathan Edmondson et Phil Noto, série dont Panini a également publié un premier volume il y a quelques mois de ça (et que dans l'ensemble je trouve tout de même, je préfère le signaler au passage, un bon cran au-dessus de celle-ci). La Veuve Noire évolue dans une intrigue et un environnement à la James Bond là où les aventures de la ninja lorgnent plutôt vers le pulp (passant du fond d'une jungle à une cité chinoise engloutie) et le fantastique, mais dans les deux cas, on retrouve deux "héroïnes" sans super-pouvoir mais aux capacités... mortelles, évoluant toutes deux dans les zones grises de la moralité, avec une même propension à enfouir leurs sentiments aussi sûrement que les corps de leurs ennemis, dans deux séries où une mise en image somptueuse tend à primer sur l'intérêt du scénario ; coïncidence ?
Quoi qu'il en soit, "Deadly Mike" Del Mundo, artiste d'origine philippine qui avait jusque-là surtout officié sur des couvertures et se voit confier pour la première fois une série régulière, est la révélation du titre. Sans le singer - ni prendre le risque de le suivre dans tous ses excès -, il n'en place pas moins clairement son travail sur Elektra dans la filiation graphique de Bill Sienkiewicz, en hommage manifeste à ce qui reste, comme on l'a dit en ouverture, LE grand moment de l'histoire du personnage. Au scénario, Haden Blackman - qui venait tout juste de claquer la porte de DC après "l'affaire" Batwoman - lui sert sur un plateau toutes les occasions de briller, et il est évident que l'auteur est resté marqué par sa collaboration avec J.H. Williams III sur les aventures de la déesse rousse des nuits de Gotham, tant on en retrouve dans Elektra les double splash-pages caractéristiques amalgamant les images en une composition complexe...
Néanmoins, et comme cela avait d'ailleurs déjà pu être le cas à certains moments de Batwoman - en particulier lors de l'arc "World's Finest" (T.3 "L'Élite de ce monde" chez Urban) -, le recours un peu trop systématique à cette méthode se fait parfois au détriment de la force du récit, affaiblissant au profit de la prouesse graphique certaines scènes qui auraient pu avoir une plus grande portée émotionnelle (dans un titre qui de façon générale tend à être "contaminé" par la froideur de son héroïne), et pouvant conduire à une impression de décousu par les changements de rythme que ce style impose à la narration pour progresser d'une "grande scène" à une autre.
Ces bémols mis à part, ce nouveau départ des aventures d'Elektra reste pourtant, globalement, un titre recommandable aussi bien pour les fans de longue date du personnage que pour ceux qui le découvriront à cette occasion. Les éléments-clés du passé de l'héroïne sont rappelés rapidement, et si l'on croise quelques personnages secondaires connus des aficionados (Lady Bullseye en particulier), Blackman met surtout l'accent sur la création de nouveaux venus : la mystérieuse Intermédiaire, Cape Crow et son fils, ou l'inquiétant Bloody Lips (traduit littéralement, mais un peu lourdement, "Lèvres Ensanglantées" en v.f.), qui absorbe les capacités et les souvenirs des victimes qu'il dévore... Le scénario, même s'il repose sur une trame assez classique de traque, et se permet sans doute un peu trop de facilités pour être pleinement convaincant, n'en reste pas moins plutôt efficace dans son mélange d'action et d'introspection. Ce n'est pas vraiment le retour triomphal qu'on pouvait espérer pour un tel personnage, ni une série incontournable, mais, l'univers graphique de Del Mundo n'aidant pas peu à emporter l'adhésion, les amateurs du genre devraient trouver de quoi y passer un bon moment en compagnie de l'une des plus inquiétantes héroïnes de la Marvel.
Elektra : Le Sang appelle le sang
Contient Elektra vol.3 #1-5.
Scénario : W. Haden Blackman.
Dessin : Michael Del Mundo.
Éditeur original (USA) : Marvel.
Sortie originale : avril-août 2014.
Éditeur (France) : Panini.
Traduction : Mathieu Auverdin.
Sortie : mars 2015.
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